Photo : Grégoire Korganow
– Jean-Raymond, pourquoi as-tu choisi d’exprimer ta pratique artistique dans la rue ?
J’ai commencé mon travail en salle, j’avais un parcours qui était fait pour y rester, mais très vite je me suis rendu compte que le public auquel je m’adressais était toujours le même. Selon ce que je montais, je savais devant qui j’allais jouer. J’ai donc décidé de sortir mon théâtre pour aller le plus possible à la rencontre de celles et ceux qui n’y vont pas parce qu’ils pensent que ces lieux ne sont pas faits pour eux. Après ces quatre décennies passées à sillonner les boulevards d’ici et d’ailleurs, je pense que, plus que jamais, c’est à cet endroit-ci qu’il faut être en tant qu’artiste : dans la rue, sur la place, aux pieds des immeubles…
En étant dans l’espace public, je choisis de m’adresser au plus grand nombre. Je me dois alors de trouver les signes, les mouvements, le langage me permettant de raconter une histoire qui fait commun à la ville et à ses habitants.
– Que penses-tu alors des institutions comme par exemple les Centres Dramatiques Nationaux, les Scènes Nationales etc. ?
Certaines d’entre elles prennent le risque de l’aventure de l’espace public avec nous mais je me pose néanmoins la question suivante : à quel endroit se positionnent ces institutions et leurs artistes ? À qui parlent-elles ? À quels publics s’adressent-elles ?
Si l’on s’en tient aux statistiques du DEPS (Département des études, de la prospective, des statistiques et de la documentation) qui relèvent une légère augmentation de la fréquentation des lieux de diffusion de spectacle vivant, il n’en reste pas moins que le profil du spectateur n’a pas évolué depuis plus de vingt ans : un homme ou une femme vivant principalement dans une agglomération de taille conséquente, diplômé·e et avec un niveau de vie confortable.
Je suis très en colère de constater la manière condescendante dont ces institutions regardent les artistes qui ont fait le choix de s’exposer dans l’espace public.
– Les artistes de rue ne seraient-ils pas au niveau de l’excellence artistique attendue par le réseau des salles généralistes ?
Il y a chez nous autant de gestes artistiques aboutis que dans le réseau des salles, toutes proportions gardées car les artistes agissant dans l’espace public sont beaucoup moins nombreux que ceux qui exercent dans la salle.
Je ne souhaite pas pour autant que l’on ferme les salles (rires) ! J’en suis un grand consommateur mais j’y vois un public consanguin et vieillissant, une forme d’entre-soi.
Aujourd’hui il y a une urgence indispensable de l’art, du théâtre, de la danse… dans l’espace public. Il faut aller vers des populations qui ont la sensation d’être mises de côté. Des gens à qui l’on ne parle pas, on ne parle plus. Dans de nombreux territoires, le droit à la culture n’existe pas et, par fait de conséquence, recule la République, confortant des populations dans leur sensation d’être exclues de celle-ci.
Le public des arts de la rue est pluriel et l’on peut y constater une vraie mixité. Alors oui, je veux interpeller les artistes qui choisissent de rester bien au chaud dans la salle : où êtes-vous pour bouger les lignes de cette société dont vous savez si bien parler ?
Franchissez le pas et venez nous rejoindre avec vos talents, vos regards sur le monde. C’est ici que ça se passe et pas ailleurs.
– Si tu devais en trois mots définir les arts de la rue ?
L’énergie du cirque, la générosité du théâtre et la liberté de la poésie.
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* Claudine Lebègue
Rédactrice 2022 du programme des Rencontres d’Ici et d’Ailleurs
Claudine Lebègue est chanteuse, accordéoniste, autrice, compositrice, comédienne et metteuse en scène.
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les 34es rencontres d’ici et d’ailleurs
les 21 & 22 mai 2022 à Garges-lès-Gonesse (95)
jeudi 5 mai 2022