Photo : Hélène Jayet
Quel est ton parcours ?
Je suis flûtiste, chanteuse, auteure, compositrice, interprète. J’ai d’abord commencé la flûte par un parcours classique au conservatoire de ma ville, Saint Denis. J’ai vite aimé jouer avec les autres, partager la musique : duo, trio, musique de chambre, orchestre. Adolescente, au moment où j’aurais pu tout lâcher, je rencontre le jazz et les musiques improvisées. Et là, déclic, on peut s’amuser avec son instrument, avec les sons, improviser… Quelle liberté ! J’ai adoré et ça a guidé ensuite tout mon parcours et mes rencontres. Eclectique et libre. Masterclass et ateliers du festival Banlieues Bleues et de Jazz à la Villette, fanfare qui sillonnait tous les quartiers d’île de France, j’ai collaboré à tous types de musiques dès qu’elles se jouaient avec des gens passionnés et bienveillants : funk, afro beat, jazz, house, musique ouest africaine, chanson française. Le chant est venu pendant ces expériences musicales. Autodidacte, ma pratique s’est beaucoup nourrie de mon bagage d’instrumentiste. J’étais choriste/flûtiste dans tous les groupes dans lesquels j’ai joué puis j’ai été « uniquement » chanteuse dans un groupe a capella et là, autre déclic : la voix comme instrument de l’âme et incroyable vecteur d’émotions et le chant choral a capella comme expérience quasi-mystique. Ma rencontre avec Camille est l’une des plus marquantes. Elle qui aime bousculer les étiquettes a plongé de plain-pied dans mes identités plurielles et m’a proposé de chanter avec elle pour le Ouï Tour, qui nous a mené en France, Europe et même en Australie. Nous continuons à collaborer sur son projet Lalà, expérience artistique immersive où le public chante et danse avec nous, sans savoir au préalable ce qu’il va se passer. Unique et créatif. Et depuis l’an dernier, je défends ma propre musique, avec le projet Maddly. Eclectique et libre lui aussi. J’écris mes chansons, ma musique et j’ai l’immense plaisir d’avoir un de mes titres, « I aime what I am », dans le spectacle « Peaux Bleues ». Parallèlement, j’ai aussi un parcours universitaire de sociologie, ethnomusicologie et management culturel et j’ai longtemps travaillé dans l’organisation d’événements, ce qui m’a amenée à ma troisième casquette de régisseuse de tournées. J’ai côtoyé par ce métier des artistes incroyablement inspirants : Salif Keïta, Tony Allen, The Last Poets, Yael Naïm, Imany, David Murray, Omar Sosa, Magic Malik, Mayra Andrade, Keny Arkana, Gotan Project, Faada Freddy.
Concert Alcaline de Camille à visionner par ici
Pourquoi as-tu choisi d’être artiste ?
En réalité, je n’ai pas choisi d’être artiste, c’est venu de soi… mais ça a pris du temps. Dans ma famille, pas de musiciens ou d’artistes et mes parents, ô combien mélomanes et amoureux de la musique et de la danse, ne m’ont jamais poussée à en faire mon métier. Trop risqué, trop incertain. J’ai donc d’abord inconsciemment digéré cette injonction en faisant d’autres études, sur un sujet qui me passionne, l’ethnologie et les sciences humaines en général. Mais j’ai toujours continué à jouer, à créer, à collaborer. Les virages permettent d’affirmer encore plus fortement ses vibrations intérieures et la musique a finalement pris toute la place ;-). La vie de musicienne, c’est beaucoup de travail, de plaisir, de déplacements, de moments solitaires et d’autres extrêmement collectifs, une terre de contrastes que j’adore et dans laquelle je me reconnais à 100%. Et le rapport au public est une joie indicible et addictive !
Photo : Hélène Jayet
Ton rôle dans le spectacle « Peaux bleues » ?
Dans « Peaux bleues », je suis flûtiste, chanteuse, danseuse et comédienne, avec cette particularité d’être, selon les tableaux, soit avec les cuivres soit avec les chanteurs/danseurs. J’adore cette polyvalence. C’est à la fois un plaisir incroyable parce qu’il se nourrit de toutes mes expériences et j’y trouve naturellement ma place car j’ai toujours été une musicienne dans la danse, dans le mouvement. Mais ça reste un défi pour la partie comédienne, acting car les codes sont différents de ceux du live musical. On joue très près des gens, presque les yeux dans les yeux et on a l’obligation d’être présent à chaque instant. Dans le même temps, l’espace de jeu est beaucoup plus vaste qu’une scène et le cocon du groupe est à géométrie variable. Cela demande une préparation extrêmement solide et une connexion très forte avec ses partenaires de jeu car même éloignés, on continue à faire corps et à rester sur la même musique, la même intention, la même émotion. Mais cette équipe est un diamant brut, une dream team de talents. Les répétitions sont déjà un pur bonheur, alors imaginez la suite !
Photo : Hélène Jayet
Qu’est -ce qui t’a convaincue de participer au projet « Peaux bleues » ?
D’abord mon histoire avec Oposito, impossible de rater ce rendez-vous. J’ai grandi à Saint Denis dans le quartier où la compagnie avait posé ses valises dans les années 90 et passais tous les jours devant la « vitrine » où étaient exposés leurs éléphants géants et autres structures de métal. J’ai donc littéralement grandi avec cette compagnie et, les histoires de vie et le hasard, ont continué à me faire croiser très régulièrement des membres ou proches de l’équipe. Je faisais donc partie de cette galaxie Oposito. Puis est venu ce projet. En tant que femme, artiste, noire, grandie en banlieue, pour qui la culture a également une mission politique (dans le sens le plus noble du terme), impossible de ne pas me sentir concernée. Sans être militante, j’ai toujours senti que ce que je suis m’obligeait plus fréquemment à balayer les idées reçues, lutter contre les clichés, m’extraire des préjugés. « Peaux bleues » parle de cela, que l’Autre est finalement celui qui te fait face dans le miroir, sauf que tu n’en as pas toujours conscience. Quoi de plus beau et juste que de porter ces questions par l’art et ce que je sais faire de mieux, la musique ? Quand Jean-Raymond, le directeur de la compagnie, m’a parlé du projet, c’était une évidence que d’en être.
Selon toi, l’invisibilisation dans les milieux culturels est-elle toujours d’actualité ?
L’invisibilisation dans la société reste malheureusement d’actualité. Et la culture ne fait absolument pas exception, accentuée par le fait qu’elle continue à être plus pratiquée dans les classes sociales aisées. Que ce soit dans la pratique instrumentale en conservatoire, dans la « consommation » de la culture, théâtre, musées, salles de concerts… Les artistes sont encore majoritairement blancs, hommes et issus de classes sociales favorisées. Et ce sont eux qui fixent les « normes ». Mon identité est plurielle et chacune de mes facettes interroge cette question des normes. Être artiste noire c’est souvent être cataloguée musiques traditionnelles/folkloriques/ethniques ou R’n’B/Rap. Pourquoi ? Être femme flûtiste crée très souvent la surprise, car une femme est le plus souvent attendue comme chanteuse, choriste, danseuse option potiche-faire-valoir. Pourquoi ? Être compositrice, auteure, surprend également parce qu’une femme semble moins dans un rôle de créatrice à part entière. Pourquoi ? Grandir en banlieue et écrire des textes qui ne soient pas du rap, s’identifier à autre chose que la case fourre-tout « musique urbaine » qui semble la nouvelle prison de la diversité, ça surprend. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas assez nombreu·x·ses. Quand l’altérité reste minoritaire, dès qu’elle se présente, elle soulève encore des tonnes de préjugés. Et elle favorise aussi l’auto-censure quand on n’est pas issu des milieux « autorisés ». S’il y avait plus « d’autres », de gens différents, les codes exploseraient de fait et élimineraient par principe toutes les cases dans lesquelles les individus sont étiquetés et jugés. Cela faciliterait également la voie à d’autres, qui auraient envie d’être ce qu’ils sont, de créer et exprimer leur univers sensible qui ne se nourrit pas uniquement de la couleur de peau ou du genre. Mais « Peaux bleues » est une des preuves que les choses avancent, que des graines sont semées, que les réflexions mûrissent et ce n’est que le début.
Photo : Hélène Jayet
Tes références par rapport à la question Noire ? Que nous recommanderais-tu ?
« Peaux bleues » parle des Noir·e·s en France mais intrinsèquement de la question de l’altérité et de ce qu’on en fait en France. Beaucoup de livres et d’auteur·e·s ont nourri mes réflexions d’être humain qui croit en cette altérité : Maryse Condé (« Ségou » 2 vol et tous ses livres), Tony Morrison (tout), Jamaica Kincaid, Simone de Beauvoir (« le deuxième sexe » 2 vol), Pierre Bourdieu (« La distinction »), Fatou Diome (« le ventre de l’Atlantique »), Frantz Fanon (« Peaux noires, masques blancs »), Ahmadou Kourouma (« Allah n’est pas obligé »), Leonora Miano, Annie Ernaux, Maya Angelou (« Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage »), Angela Davis (« Blues et féminisme noir »), Chimamanda Ngozi Adichie (« L’hibiscus pourpre »), Benoîte Groult (« Ainsi soit elle »), « Les épopées d’Afrique Noire » de Bassirou Dieng et Lylian Kesteloot. Plus globalement tous les livres des éditions L’Harmattan et Karthala. Je m’aperçois d’ailleurs que beaucoup de femmes me viennent en tête ;-)
Photo : Hélène Jayet
Quel est ton truc réconfortant ?
Je n’ai pas vraiment un truc mais les bonheurs simples ça a toujours été pour moi une vraie bouffée d’oxygène : en ce moment voir les fleurs pousser dans le jardin, planter des fruits et des légumes, faire à manger, tester de nouvelles recettes, écouter du bon son, des nouveaux sons, passer du temps avec mon fils, le voir grandir, danser et chanter avec lui, prendre le temps de discuter avec mes voisins, écrire, continuer de composer et faire avancer ma musique. Ça et un bon jus de citron, gingembre, curcuma, miel et je suis prête pour le déconfinement ! Retrouver l’équipe de « Peaux bleues » pour reprendre le travail et rencontrer le public, sont aussi deux sources incroyables de motivation car ce spectacle est humaniste et nécessaire.
Photo : Hélène Jayet
_ _ _ _ _ _ _ _ _ _
jeudi 18 juin 2020