C’est au Théâtre Shams – dirigé par Abdo NAWAR, un ami de longue date de Claudine DUSSOLLIER – que je rejoins l’équipe et retrouve Mélanie CLENET et Martine RATEAU. Mélanie a installé son atelier couture au sous-sol, elle était assistée par Ali EL HOUT qui est, par ailleurs, un très bon percussionniste que j’ai eu l’occasion de voir jouer le lendemain soir dans le cadre de la soirée d’ouverture du festival.
Dans cet atelier, installé dans les sous-sols du théâtre, on dirait que Mélanie est là depuis toujours. Elle est penchée sur son ouvrage, un pochoir à la main. Elle s’est appliquée à mettre en œuvre, sur les indications de Martine, un vestiaire où l’élégance prime. Je découvre les costumes soigneusement rangés sur les cintres, les robes des femmes sont d’une dominante rouge, pour les hommes une variation de costumes colorés. L’unité ou l’esprit du chœur sera donné par l’ajout, sur les tissus, de peintures nacrées et dorées appliquées à l’aide de pochoirs. Les motifs choisis ont été inspirés de l’architecture orientale, des dallages des anciennes maisons de Beyrouth appelés « Zelliges ».
Martine est à la manœuvre générale. Elle prépare avec Antoine et Aurélien la sortie du lendemain. Il aura fallu, pour Martine, inventer une méthode de travail : comment transmettre efficacement tout en laissant le groupe se déterminer, se trouver ? Ce projet s’est inventé rapidement, il a vu le jour par la détermination et la volonté de chacun des acteurs à entendre l’autre. Moi qui n’ai pas vécu la phase de travail sur place mais qui suis le témoin privilégié de son aboutissement, je suis impressionné du résultat. J’ai vu cette équipe de jeunes – je devrais dire ce chœur – au travail et ai vu la manière dont ils s’apprêtent à aller jouer dans la rue. Ils prennent leur histoire au sérieux se préparant à donner ce qu’ils ont de mieux. Après chacune des sorties, je les ai vus heureux mais aussi très critiques sur leur travail ; toujours disposés à faire encore mieux le lendemain. Et pourtant, croyez-moi, ils en ont vu de toutes les couleurs, dans des espaces et avec des publics très différents ! D’un quartier populaire en liesse autour d’eux au public assis aux terrasses d’un quartier branché, en passant par les rues et carrefours où ils tentaient de se frayer un passage à travers les bagnoles et la symphonie de klaxons et sirènes.
Dimanche fut ma dernière journée à Beyrouth, après un déjeuner-réunion-bilan chez Aurélien avec Antoine, Martine et Mélanie, nous avions convenu avec Zico de nous retrouver pour prendre le temps d’échanger. Chose faite. Il passe me prendre à mon hôtel, direction la corniche. Nous nous installons, en bord de mer, à une terrasse de café tenue par des musulmans. La mer était d’ailleurs déchainée. Une fois le tour de nos cv et parcours respectifs réalisé, nous rentrons dans le vif du sujet. Zico veut que l’on invente une « grande chose » pour Beyrouth : « Beyrouth ne découvre pas le spectacle de rue mais a besoin d’un grand moment fédérateur, encore plus maintenant compte tenu des évènements ». Moi, j’écoute ! Mais je réfléchis en même temps : ça veut dire quoi – pour moi et mon équipe de surcroit – de nous engager dans un bazar comme celui-là ? Je n’ai pas attendu de trouver réponse à ma question car nous continuons à discuter comme si ce projet d’écrire une histoire pour Beyrouth et ses habitants datait, pour Zico et moi, de longue date.
Avant de nous séparer, Zico me mènera au Saint-Georges Yacht Club voir une performance de danse et de musique contemporaine réalisée par des artistes norvégiens. Encore une preuve de la terre de contrastes qu’est Beyrouth, ville dans laquelle vous passez de l’univers d’un camp de réfugiés à celui de l’art contemporain le plus pointu.
A cette occasion, je retrouvai une vieille connaissance : monsieur Eric LEBAS, tout nouveau attaché culturel de l’ambassade de France. Nous avions déjeuné ensemble la veille. C’était autant l’occasion de lui faire part des raisons de notre présence à Beyrouth que de découvrir le formidable quartier protégé qu’occupent l’Institut Français et l’ambassade.
En soirée, nous nous retrouverons tous pour un dernier repas collectif à la mode libanaise. Tous sont présents et semblent ravis de cette expérience. Nous ne ferons pas de bilan, nous profiterons pleinement de ce moment en toute convivialité.
Lundi 29 septembre, Martine et moi-même sommes dans la voiture qui nous ramène de l’aéroport, sur l’A3. Nous rentrons de Beyrouth. Entre Aulnay-sous-Bois et Noisy-le-Sec, un ralentissement de la circulation. Nous passons devant un camion frigo qui est à l’arrêt sur le bas côté, entouré de véhicules de police. Descendent du camion des hommes revêtus d’une couverture sur le dos. Nous apprendrons par la suite qu’il s’agissait de neuf citoyens syriens essayant de rejoindre Londres.
Les Syriens sont 1 500 000 à être arrivés à Beyrouth depuis le début de cette guerre contre le groupe État Islamique. Beyrouth compte environ 350 000 habitants et avec la métropole 1 800 000 individus. Imaginez que, d’un seul coup, la population de la ville que vous habitez double instantanément. C’est ce qui s’est passé ici avec tout ce que cela peut engendrer humainement et techniquement – comme par exemple, l’accueil en scolarité de tous les enfants. Le ministre de l’éducation a récemment annoncé que dorénavant l’ensemble des enfants syriens pourront s’inscrire dans les écoles. Concernant les étudiants, la priorité sera donnée aux citoyens libanais puis aux jeunes étudiants syriens. Cette population syrienne est multiple et représente l’ensemble des classes sociales syriennes, de la plus riche à la plus pauvre ; les uns et les autres n’étant pas logés à la même enseigne de l’exode.
Difficile de vous dire comment est ressentie cette arrivée massive de population… Mais il y a d’abord, dans le discours des gens avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger sur le sujet, une démarche d’accueil mais aussi d’inquiétude sur le devenir de la situation.
Suite à mon premier mot, beaucoup d’entre vous m’ont demandé si l’ambiance ici était « chaude ». En tout cas ici, ce qui vous saute aux yeux, c’est la force de vie qui habite cette ville Babylone des temps modernes. Les gens vous accueillent avec un large sourire en saluant votre courage d’être venu les retrouver dans « un pays quasiment en guerre ». Oui c’est « chaud », les gens sont troublés par ce qui s’y déroule et sont mille fois plus conscients que nous du danger que représente cette guerre à leur frontière. Leurs soldats sont engagés sur le front, treize d’entre eux sont aux mains des islamistes qui ont commencé à les exécuter de la même manière que les précédents. D’ailleurs de ces otages-là, on en parle peu dans nos médias occidentaux !
Leurs parents et leurs familles ont bloqué les routes menant à Beyrouth afin de faire pression sur le gouvernement libanais pour que celui-ci agisse en faveur des prisonniers. J’ai été informé de cette situation quand je me trouvais au Théâtre Shams pour assister à la représentation d’un spectacle de jeunes égyptiens, où devaient venir 200 petits réfugiés syriens qui ont dû finalement faire demi-tour.
Mais, à l’endroit où nous nous trouvons, tout est à la normale exceptés les automitrailleuses et postes militaires placés aux endroits sensibles et stratégiques de la ville que j’aperçois lors de mes déplacements. Seules les nouvelles nous signifient que, non loin d’ici, les choses sont d’un tout autre genre et vous rappellent que des affrontements se déroulent pas très loin d’ici.
Lors de l’entrevue avec Zico, nous avons parlé de méthode et des étapes à réaliser pour tendre vers la réalité de notre projet. Quelles sont les équipes ou personnalités à associer qui pourraient apporter du sens à cette aventure ? Nous sommes convaincus que le sens de cette histoire doit venir d’ici. Nous prenons la décision de projeter sa réalisation sur deux ans avec un aboutissement en septembre 2016. Nous imaginons que la première étape pourrait se dérouler en février 2015 autour d’une conférence sur la pratique de l’événement urbain, conférence qui impulserait ensuite une réflexion sur un événement destiné à Beyrouth.
Je reviens de cette ville conquis et intrigué, je ne parle ici que de Beyrouth puisque je n’ai rien vu d’autre au Liban, pays que j’aurai certainement l’occasion de découvrir davantage lors de notre prochain voyage. Oui, je dis bien prochain voyage, car ces quelques feuillets ne sont que le prologue d’une grande histoire.
A suivre donc…
mardi 28 octobre 2014